MyData 2016 – Convergences et tensions, quel bilan de l’événement ?

Dernier billet de la série de retours sur l’événement MyData, qui se tenait entre le 30 septembre et le 2 août dernier à Helsinki. 

Alors, que tirons-nous de cet événement autour des enjeux du Self Data (ou de MyData) ? Qu’ont produit, finalement, les acteurs présents ? Valérie Peugeot (Orange Labs / Vecam), était chargée de conclure l’événement, ce qu’elle faisait avec une brillante synthèse de ces trois jours d’échanges et de travaux, s’intéressant aux convergences, aux tensions et aux sujets peu traités ou absents.

“Make it right, together” : ce qui nous rassemble

Bonne nouvelle, le message “make it happen, make it right” ne semble pas galvaudé à l’issue de l’événement ; si la thématique du retour des données personnelles, du Self Data n’est pas encore mainstream, elle commence à faire son chemin dans les esprits des uns et des autres. La diversité des acteurs présents durant MyData (détenteurs de données, investisseurs, plateformes, startups, institutions, chercheurs…) est une belle preuve que ce sujet sort de la confidentialité. De fait, les acteurs convergent déjà sur un certain nombre de points, un bon début pour qu’effectivement, le mouvement se développe tout en créant une valeur partagée. Valérie Peugeot identifie plusieurs sujets qui semblent faire consensus à l’issue de l’événement.

Les services et le design, un enjeu majeur du Self Data

Restituer des données aux individus, leur donner des outils pour en retrouver le contrôle et les protéger ne suffira pas. Les individus qui réclament plus de privacy n’utilisent pas forcément les outils mis à leur disposition pour protéger leurs données (ce que la recherche sur le sujet nomme le Privacy Control Paradox). Plus largement, nous avons pris l’habitude depuis des années d’utiliser des services de qualité, qui utilisent beaucoup de nos données… mais sans nous soucier de ces données. Il nous faut donc entrer dans une phase de “désintoxication” énonce Valérie Peugeot. Et pour que cette désintoxication fonctionne, les services Self Data doivent être suffisamment séduisants : qu’ils redonnent vraiment aux individus la main sur leurs données, tout en étant vraiment utiles ou ludiques. Le design a aussi un rôle particulièrement important à jouer dans ces services.

Une technologie à sa juste place

Si la technologie a une place de choix dans le Self Data, elle ne fait pas tout. MyData est parvenu, par le choix de ses sujets et de ses intervenants, à ne pas tomber dans le déterminisme technologique. Si la blockchain par exemple, buzzword du moment, a été évoquée dans plusieurs sessions, il est clair qu’elle porte aussi plusieurs fantasmes. Pour la plupart des acteurs en présence, la blockchain comme les nouvelles technologies plus globalement, ne sont qu’une part de la solution (ou du problème, c’est selon !) et de ce qui fait le Self Data. “Ce qui est, je trouve, très sain” conclut Valérie Peugeot sur ce point.

Mais bien sûr, les sujets techniques sont essentiels à la progression du Self Data : standardisation, interopérabilité, architectures distribuées et infrastructures ouvertes (soft et hardware) sont quatre sujets récurrents. On sait que les technologies ne sont pas neutres elles incarnent les valeurs de ceux qui les construisent. Ainsi, appliquer les 4 principes évoqués aux technologies pourrait permettre d’inclure dans les celles-ci les valeurs du Self Data (privacy, empowerment….), suggère la chercheuse.

La transformation du cadre législatif, levier clé ?

Le dernier grand point de convergence identifié par Valérie Peugeot concerne le cadre législatif. Le GDPR est manifestement un élément de contexte clé, bien à l’esprit de tous les participants ; il pourrait être une excellente nouvelle pour le Self Data, sur le plan symbolique comme sur le plan opérationnel, comme l’évoquait déjà Edouard Geffray (CNIL) le premier jour. Sur ce dernier aspect, le droit à la portabilité peut vraiment être un levier pour motiver les détenteurs de données à s’engager sur la voie du Self Data. Mais la chercheuse nous met en garde contre une naïveté excessive : la réalité est aujourd’hui que beaucoup de grandes organisations luttent pour obtenir une interprétation la plus restrictive possible de la portabilité, afin qu’elle concerne le moins de données possible. Les outils légaux ont besoin de rencontrer une demande sociale pour être pleinement actifs ; le Self Data aura aussi besoin de “politique”. MyData, ou les événements de ce type pourraient contribuer à ce changement culturel.

 

Construction de l’écosystème et droits attachés aux données, des sujets de débat

Mais comme tout mouvement émergent, le Self Data a encore ses points de divergence ou de tension. Le premier concerne les services et plateformes ; ceux que de nombreux acteurs nomment les “PIMS” (personal information management services). Une approche verticale, par secteur (des plateformes et services pour la santé, l’énergie, etc.) cohabite pour l’instant avec une approche horizontale, qui vise à briser les silos (illustrée au cours de l’événement par Meeco, Digime, Cozy, MatchUpBox, Humada, Personium.io…). Cette cohabitation n’est pas un problème, surtout à ce stade de développement du marché. Par contre, l’émergence de plusieurs plateformes ou PIMS proposant des services similaires pourrait être plus problématique, si tous se vivent comme des concurrents. A ce stade, le Self Data aurait davantage besoin d’alliances, de réflexions collectives… pour éviter de tomber dans une approche “Winner takes all”. En somme, un besoin de “Coopétition”.

MyData et les autres : secteur public, GAFAs,…

D’autres tensions identifiées par la chercheuse portent sur les relations entre le mouvement MyData / Self Data et d’autres acteurs/secteurs. Ainsi, au moins une session de l’événement se concentrait sur le sujet de ses relations avec le secteur public, également abordé dans d’autres ateliers. Pour Valérie Peugeot, qui a longtemps travaillé sur l’Open Data, il y a une filiation forte entre les acteurs impliqués dans l’open data et dans le mouvement MyData, à l’image de l’Open Knowledge Foundation Finland, qui coorganisait l’événement. Mais l’on voit bien que la relation entre le secteur public et MyData est à construire ; si c’est une piste intéressante pour renforcer la transparence des acteurs publics à l’égard des citoyens, certains craignent que cela amène une captation de la valeur de données personnelles par des acteurs privés, par exemple si des PPP (partenariats publics-privés) voient le jour. Notons que du côté de la Fing, il nous semble justement intéressant que des acteurs publics embarquent dès à présent dans les réflexions autour du Self Data, à l’image du Grand Lyon dans le projet MesInfos !

L’autre relation pointée du doigt par Valérie Peugeot concerne le lien entre le mouvement MyData et les GAFAs. Différentes présentations et temps d’échange au cours de l’événement ont bien montré que les postures des acteurs diffèrent sur ce point ! Alors que certains se construisent en opposition aux grandes plateformes qui collectent une masse importante de données et souhaitent construire des modèles alternatifs, d’autres au contraire pensent judicieux de coopérer avec elles, pour les transformer de l’intérieur. Si les postures ne sont pas toutes aussi tranchées, le mouvement MyData / Self Data devra en tout cas discuter de ces positionnements pour continuer à grandir !

“ Ownership is not the right concept”

Le dernier point de vigilance évoqué par Valérie Peugeot n’a pas été le moindre : propriété ou usage des données, comment considérer les données personnelles ? Pour de nombreux acteurs (et nous en faisons partie), les données personnelles ne peuvent pas tomber sous un régime de propriété. Mais l’on a entendu plusieurs fois durant ces trois jours parler de “posséder ses données” ou être propriétaire de ses données. La métaphore des données, “or noir”, a fait long feu, ayant même pour effet pervers de nous amener à considérer les données comme des biens pouvant être possédés, fait remarquer la chercheuse. Il nous faut sortir de cette logique propriétaire, qui pourrait d’ailleurs facilement déraper (si je suis propriétaire de mes données, je peux les vendre au plus offrant, à n’importe qui ? et si l’on me fait du chantage aux données ?), les droits associés aux données s’inscrivant plus globalement dans un cadre des droits de l’homme (l’initiative Ranking Digital Rights présentée durant MyData, qui analyse les conséquences des politiques et pratiques des organisations sur les libertés et la vie privée des individus, est intéressante à noter à ce titre).

 

Des points de vigilance pour l’avenir du Self Data

Valérie Peugeot termine son intervention en faisant part de sujets qui, selon elle, manquaient pour l’instant à la réflexion. Première limite, notre regard sur l’économie numérique, parfois trop étroit. Penser en termes de silos, par exemple en termes de droit (protection des données, doit de la concurrence, droit fiscal…) n’est pas une approche efficace, car ces différents sujets sont totalement liés : “il n’y aurait pas un si gros problème de protection des données si les individus pouvaient changer de services, plutôt que d’être prisonniers de marchés monopolistiques ou oligopolistique” fait remarquer la chercheuse. Il est temps de s’intéresser à l’ensemble de l’économie de l’attention, à l’oeuvre aujourd’hui, pour refonder une économie plus durable. Et les acteurs du mouvement de MyData y ont un rôle à jouer.

Second pan aveugle pour l’instant : la gouvernance. Plusieurs intervenants (Doc Searls, Irene Ng…) ont parlé de participation ou de démocratie durant MyData. Cette approche “démocratique” est aussi importante dans les organisations elles-mêmes. Il n’est pas anodin qu’un des premiers détenteurs de données à s’engager publiquement dans le Self Data soit une mutuelle, la MAIF ! Il nous faudrait tirer des leçons de l’économie collaborative, soulignait Valérie Peugeot : est-ce que les acteurs du Self Data (les plateformes par exemple, à l’image de Midata.coop en Suisse) n’auraient pas intérêt à réfléchir à une gouvernance démocratique dès aujourd’hui, pour être cohérents avec les valeurs prônées ?

Le troisième manque identifié concerne également le collectif et l’essence du mouvement Self Data / MyData. A travers la sémantique employée (“MyData”, the” internet of me”, “the person is the platform”,  “API of me”, “Me-ecosystem”), les participants de MyData se sont beaucoup focalisés sur l’individu. Plusieurs sessions abordaient la question de la responsabilité : les individus pourraient devenir plus responsables de leurs données, du suivi de leur santé, de leur quotidien… Mais cette perspective d’un individu maître de ses données, mais isolé, seul, est ambiguë : “attention à ne pas faire des individus des “bêtes de somme numériques”, prévient Valérie Peugeot. “Tout le monde ne veut pas ou ne peut pas prendre de telles responsabilités quotidiennes”.  Par ailleurs, quel poids de l’individu isolé dans un monde où le pouvoir est fondamentalement asymétrique ? Si ce transfert de responsabilité a lieu sur des individus isolés, ne fait-on pas que renforcer cette asymétrie ? C’est pour cela que nous avons besoin, en complément de l’approche centrée sur l’individu, de développer de véritables réflexions et actions sur le collectif : la communauté, la foule, la force des actions collectives (quitte à lancer des Class Actions autour de nos droits digitaux, propose la chercheuse, ou encore à crowdsourcer les pratiques déloyales de certaines organisations ! ).

Dernier sujet manquant : la réflexion environnementale. On sait que collecter et stocker des données dans des serveurs a un fort impact énergétique. Certaines technologies décentralisées, comme la blockchain, nécessitent également une forte consommation. A l’heure de la transition écologique, comment prendre en compte ces questions ? “Comment pouvons-nous contribuer à une forme de frugalité des données ?” questionne en ouverture finale la chercheuse.

Premier événement de cette ampleur autour du mouvement Self Data / MyData, MyData2016 ne pouvait pas traiter tous les sujets. L’enjeu était autant de partager, d’apprendre, de réfléchir, que de commencer à construire collectivement. Le programme a été suffisamment riche pour construire une base solide pour poursuivre les échanges dans les mois à venir. Il a surtout laissé un certain nombre de sujets en suspens, qui constituent autant de thématiques de travail pour, on l’espère, un MyData2017 !

Source : ADEC - Open data